Comprendre les ISO
Introduction
On lit beaucoup de choses à propos réglages ISO. Notamment qu’une montée en ISO augmente le bruit des images. Vraiment ? Regardons tout cela plus en détails : après quelques généralités, nous terminerons par une petite démonstration mathématique. C’est parti !Origine
La sensibilité ISO désigne les règles de mesures de la sensibilité à la lumière des pellicules argentiques ou des capteurs numériques. L’appellation « ISO » provient du nom de l’organisme international « International Organization for Standardization » qui les a originellement définies. Quatre standards ISO ont été créés : un pour les pellicules noir et blanc, un pour les pellicules couleurs, un pour les pellicules inversibles (diapositives) et enfin un plus récemment pour les capteurs numériques.
Malgré tout, on observe des comportements différents entre les matériels. Elles peuvent s’expliquer par des interprétations de la norme pouvant varier lors des processus de conception et de fabrication des capteurs.
Effets
Lors d’une montée en ISO, les effets suivants se produisent :
- Votre image est plus lumineuse : la mesure de la quantité de photons reçue par le capteur de votre appareil est amplifiée ; dans le jargon électronique, on appelle cela le gain. Retenez ce terme car nous nous en servirons souvent dans la suite de cet article.
- Votre image perd en dynamique : à cause de l’amplification, les hautes lumières saturent plus rapidement. Il faut donc éviter de trop monter en ISO car il est nécessaire d’avoir un maximum de dynamique pour exposer correctement les hautes et basses lumières.
- Le bruit de lecture des données du capteur de l’appareil diminue. Ce type de bruit est celui qui nous intéresse dans le cadre ce chapitre. Il existe d’autres sources de bruit, mais elles ne dépendent pas des réglages de votre boîtier (bruit de photons, bruit thermique, …).
Fausses croyances
Contrairement à ce que l’on croit, une montée en ISO ne rend pas votre appareil plus sensible et ne fait pas monter le bruit de vos images. Au contraire, elle le fait baisser.
Voici un exemple concret : un Canon EOS Ra a posé pendant 15 secondes à la même ouverture sur un ciel étoilé au Chili avec deux réglages ISO différents : 400 ISO et 12800 ISO. La quantité d’informations reçue (le signal) est donc la même entre les deux clichés. L’image à 400 ISO a ensuite été éclaircie dans Lightroom afin d’obtenir la même luminosité que l’image à 12800 ISO (+ 5 EV).
Le constat est clair : l’image à 12800 ISO n’est pas plus bruitée que l’image à 400 ISO et elle est même meilleure dans le petit buisson sombre. Pour mieux comprendre ce qu’il se passe, nous devons nous plonger dans quelques graphiques. C’est parti.
Le comportement des capteurs de nos appareils photo et caméras
Pour comprendre ce qu’il se passe quand on monte en ISOs, nous devons nous plonger dans quelques mesures. Celles que nous allons étudier ont été réalisées par le fabriquant de caméras d’astronomie ZWO sur un capteur Sony IMX 410 qui équipe la caméra ASI 2400 MC Pro (son homologue chez QHY est la caméra QHY 410C). Il m’intéresse pour cette démonstration car il équipe aussi les appareils Nikon Z6, Z6II, Sony Alpha 7III.
Le fonctionnement d’un capteur
Avant de poursuivre, quelques mots sur le fonctionnement d’un capteur :
- 1. Pendant la pose, les photons sont convertis en électrons grâce à l’effet photoélectrique. Cette opération se réalise grâce à un substrat qui libère des électrons en fonction de la charge photonique reçue. Elle se réalise avec plus ou moins d’efficacité (on parle d’efficacité quantique). Elle est fonction de la longueur d’onde (donc de la couleur) comme le montre le graphique ci-dessous. Pour un capteur qui a un rendement moyen de 50 %, si deux photons sont captés par un photosite pendant une pose alors un électron sera libéré.
- 2. A la fin de la pose, la charge électronique de chaque photosite est amplifiée puis convertie en signal numérique à l’aide d’un ADC (Analog to Digital Converter). Monter le gain ou les ISO signifie donc appliquer un coefficient multiplicateur lors de la lecture de la charge électronique d’un photosite. Pour un gain de 2, si un photosite contient 20 électrons, alors la valeur lue sera de 40 électrons.
Le full well
Le full well, ou capacité d’un puits de potentiel, désigne la capacité de charge électronique de chaque photosite d’un capteur. Lorsque le gain augmente, la charge électronique lue est amplifiée ce qui sature l’ADC plus rapidement. Le graphique ci-dessous montre cet effet : pour un gain de 200, l’ADC de la caméra sera saturé dès que le puits de potentiel atteindra 10k e-.
Pour mieux comprendre le phénomène, je vous invite à lire cette excellente vidéo réalisée par Steve Chambers du fabriquant de caméras Atik.
Le bruit de lecture
Le bruit de lecture est introduit comme son nom l’indique à chaque lecture du capteur. Il est introduit par l’amplificateur et l’ADC. Mais paradoxalement, plus le gain augmente, plus le bruit de lecture diminue. Le graphique ci-dessous illustre ce phénomène.
Cependant, le bruit de lecture ne diminue presque plus à partir d’un certain gain, ici 140 dB. Vous saturerez donc inutilement votre ADC si vous montez au-delà.
Nous tenons donc là une première explication du comportement que vous avez observé dans les deux vignettes comparatives 400 et 12800 ISO du début d’article : le bruit de lecture diminue lorsque le gain augmente, ce qui explique pourquoi la vignette à 12800 ISO est moins bruitée.
Quelques calculs
Pour aller au bout du geste et finir de comprendre pourquoi la vignette à 12800 ISO est moins bruitée que la vignette à 400 ISO, il est temps de faire un peu de mathématiques car tout n’est pas qu’une histoire de bruit de lecture. Il n’y a rien de très compliqué sinon je n’aurais pas écrit cet article !
Ce qui compte vraiment, c’est le rapport signal / bruit
Si la vignette à 12800 ISO vue en début d’article est moins bruitée, c’est parce que le rapport signal / bruit est meilleur. Mais voyons quelle influence ont le gain et les ISO sur le rapport signal / bruit. Par convention, celui-ci est nommé RSB.
Le bruit
Tout signal est lié à un bruit. Lorsque le signal augmente, le bruit augmente également, mais dans une proportion moindre : par la racine carrée du signal. Par conséquent :
Pour un signal de 100, le RSB est égal à :
Pour un signal de 200, le RSB est égal à :
Pour un signal de 400, le RSB est égal à :
Conclusion intermédiaire : pour obtenir une image deux fois meilleure qu’un temps de pose donné, il faut poser 4 fois plus.
Les différents types de bruits
Maintenant que nous savons comment calculer le rapport signal / bruit, il est temps de nous intéresser au bruit lui-même. Il vient d’un ensemble de bruits qui s’ajoutent les uns aux autres : le bruit de photons, le bruit thermique, le bruit de lecture et le bruit de quantification. Je ne m’intéresserai pas à celui-ci car cela nous emmènerait trop loin.
Le bruit de photons
Ce bruit est lié à la nature de la lumière. En effet, les photons nous parviennent de façon dispersée : il faut comparer ce phénomène à une pluie. La quantité de photons arrivant sur un photosite varie donc avec le temps. Cela se constate forcément sur les objets célestes qui sont peu brillants pour lesquels le flux photonique est faible. Pour compenser, il faut poser longtemps pour obtenir une image nette de l’objet.
Le bruit de lecture
Ce bruit est introduit à chaque fois qu’un capteur est lu. Nous venons de le voir, il varie en fonction du gain (des ISO) utilisé.
Le bruit thermique
Ce bruit est introduit lors du fonctionnement du capteur. Lorsque celui-ci est en pose, des électrons peuvent sauter d’un puits de potentiel à l’autre. Ce phénomène augmente avec la température ambiante, c’est pourquoi on cherche à refroidir les caméras. Nous mettrons de côté ce bruit pour la démonstration qui vient.
L’addition des bruits
Pour additionner les bruits il est nécessaire de réaliser une somme quadratique :
Le calcul
Prenons un capteur parfait, sans bruit et supposons qu’il reçoive 49 e- de signal :
Gain 1
Gain 2 : le signal est multiplié par 2, ainsi que le bruit associé :
Gain 3 : le signal est multiplié par 4, ainsi que le bruit associé :
Maintenant, introduisons du bruit de lecture fixe, 3 e-. Rappelez-vous, pour additionner les bruits, il faut utiliser une somme quadratique :
Gain 1
Gain 2
Gain 3
Finalement
En augmentant le gain…
- Nous nous approchons du RSB idéal qui est de 7. Il ne sera toutefois jamais atteint car d’autres bruits entreront en jeu comme évoqué précédemment : bruit de quantification, bruit thermique.
- Le RSB devient meilleur. Ce qui explique pourquoi la vignette du début d’article prise à 12800 ISO est moins bruitée que la vignette prise à 400 ISO.
Conclusion
Retenez ces éléments :
- Nous avons vu que monter en ISO améliore le rapport signal sur bruit. Pourtant lorsque l’on réalise cette manipulation sur nos appareils on constate exactement l’inverse ! L’explication est la suivante : votre appareil a juste posé moins longtemps pour éviter de saturer ses photosites. Par conséquent, moins de signal a été reçu et donc le rapport signal sur bruit est devenu moins bon.
- Montez en ISO si vous n’avez pas le choix (attention aux fortes luminosités qui pourraient se trouver dans votre image)
- Surveillez la partie droite de votre histogramme et assurez-vous de ne pas trop saturer les hautes lumières. C’est le plus important : je préfère avoir une image un peu plus bruitée mais avec peu de zones surexposées que l’inverse. Gardez tout de même en tête qu’en photo de nuit, vous aurez toujours des lumières saturées. Il vous faut donc trouver un compromis.
Enfin, maintenant que vous savez décrypter les graphiques de comportement des capteurs vous pouvez trouver des valeurs idéales pour votre boîtier grâce au remarquable travail de Bill Claff qui a réalisé énormément de mesures sur des boîtiers du marché. A titre personnel je travaille la plupart du temps à 800 ISO en ciel profond, et entre 1600 et 3200 ISO en paysage nocturne avec mon Canon EOS 6D.
Astrophotographie avec un réflex (ou un hybride…)
Pour vous aider à débuter ou progresser en astrophotographie avec votre réflex ou votre hybride, j’ai réuni en un livre électronique de 213 pages des techniques issues de plus de 15 années de pratique de la discipline.
Au sommaire :
- Pour chaque thème, des expériences terrain et un tutoriel détaillé de traitement avec Photoshop.
- Voie lactée et arches de Voie lactée.
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- Ciel profond (nébuleuses, galaxies…) (43 pages).
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- …